Aéroport de Toussus-le-Noble, 5 degrés.
Le vent froid glisse sur des ailes d’un rouge écarlate et se mêle à la sonorité rauque d’un 12 cylindres atmosphérique, calé sur un ralenti impeccable.
Et pourtant, aucun chasseur Mustang P51 ou Spitfire dans les parages.
La belle mécanique qui monte patiemment en température sous nos yeux relève d’une autre catégorie.
La Testarossa se réveille à peine, mais, déjà, une forme d’impatience à se mettre en mouvement est nettement perceptible
Bienvenue dans le mythe Ferrari
Bienvenu dans le mythe Ferrari que nous allons partager avec vous au travers de cet essai dont vous pouvez découvrir par ailleurs la vidéo complète ci-dessous.
Présentée en octobre 1984 au Salon de Paris où elle fit sensation, la Ferrari Testarossa est à présent une « classique ». Force est de constater que malgré son âge, elle reste une auto très impressionnante. Même en comparaison avec les standards des voitures de sport actuelles, elle est encore exceptionnellement large.
Très basse et plus courte qu’on ne l’imaginait, un rapport de proportions inhabituel et un effet spectaculaire s’en dégagent, encore accentués par les immenses prises d’air qui balafrent les flancs.
Cependant, cette apparence unique ne résulte pas d’une simple recherche de style, loin s’en faut.
Le design de la Testarossa a été entièrement dicté par des recherches aérodynamiques très poussées et des dispositions techniques innovantes, résultat du travail conjoint des ingénieurs de Ferrari et du carrossier Pininfarina.
Leur objectif était d’optimiser l’équilibre et la stabilité du nouveau modèle avec en corollaire, un confort nettement amélioré.
La Testarossa : une classique qui défie le temps
Traditionnellement, le radiateur de refroidissement était positionné à l’avant des voitures. Cette disposition restera longtemps la règle alors que le moteur avait déjà migré à l’arrière des autos de course et des sportives de route les plus novatrices. On retrouve ce principe sur les Ferrari BB (365 GT4 BB, 512 BB et BBi) qui précèdent la Testarossa et qui, par ailleurs, étaient les premières Ferrari 12 cylindres de route à moteur central.
Cette conception présente plusieurs défauts à l’usage, même s’il est question d’une voiture de sport.
L’espace sous capot à l’avant se trouve entièrement encombré par les radiateurs d’eau, de climatisation et leurs ventilateurs électriques. L’aménagement d’un coffre à bagages correct est impossible. En plus de voyager léger, il est difficile d’obtenir une température agréable dans l’habitacle en toute saison. En effet, le radiateur à l’avant et les canalisations qui rejoignent le moteur à l’arrière en longeant le cockpit dispersent leurs calories en chemin et particulièrement en été.
Les ingénieurs de Maranello ont résolu ces problèmes en adoptant une solution imaginé pour la course (Ferrari 312 PB sport-proto 1971) en déplaçant les radiateurs à l’arrière. Positionnés juste devant les roues postérieures et de chaque côté du moteur, tout l’espace sous le capot avant est libéré.
Voilà les problématiques du coffre et du confort thermique réglées, mais, me direz-vous, il est fort peu probable que cette solution ait été développée pour des raisons de confort sur une voiture de course !
Effectivement, l’objectif pour la 312 PB était de recentrer les masses.
Explication rapide : pour une voiture de sport et à fortiori de course, on améliore la maniabilité autant que la stabilité en déplaçant tous les composants pesants entre les essieux avant et arrière, donc en supprimant les masses en porte-à faux.
La Testarossa en tire les même bénéfices. D’une pierre, deux coups !
L'aérodynamique et l'innovation technique au cœur du design
Cependant, il ne vous aura pas échappé que le 12 cylindres à 180° (à plat) de la Testarossa est déjà très large ! Avec les radiateurs de chaque côté, on obtient une largeur inhabituelle de toute la partie arrière de la voiture.
C’est à ce moment que les aérodynamiciens prennent le relais pour tirer le meilleur parti de cette situation.
Au tournant des années ’70-’80, les études aérodynamiques progressent à grand pas.
Les objectifs concernant la Testarossa étaient d’obtenir un bon coefficient de pénétration dans l’air (Cx=0.36) et une parfaite stabilité naturelle aux vitesses très élevées, de l’ordre de 300 km/h, ce dont la voiture serait capable.
Pour ce dernier point, il faut chercher à annuler la portance, afin de maintenir l’auto au sol et d’éviter l’effet de délestage à grande vitesse, grand souci des premières voitures de sport très rapides.
En dessinant un habitacle en retrait des flancs et plus étroit que l’auto, les ingénieurs ont tiré profit du déport des ailes arrière pour leur donner un profil d’aile d’avion inversé. On obtient ainsi l’effet inverse de celui recherché avec un avion et la voiture est plaquée au sol, gage de la stabilité recherchée, sans le recours au moindre aileron.
Comme il est de règle chez Ferrari, ces innovations sont fortement empreintes de l’héritage et de l’expérience de la course. Le fait que Pininfarina soit équipé d’une soufflerie (tunnel à vent) n’est pas à négliger dans le fait que cette étude ait pu être menée à bien et avec succès.
Le style de la Ferrari Testarossa a ainsi été fortement déterminé par les solutions et évolutions techniques définies lors de son étude, solutions ayant grandement influencé ce résultat spectaculaire.
Les immenses prises d’air latérales sont nécessaires à l’apport en air frais réclamé par les radiateurs pour refroidir la mécanique.
Les grilles arrière sur toute la largeur et sur le capot moteur se chargent d’évacuer la chaleur.
La nouvelle disposition des radiateurs dans les flancs améliore le confort autant que l’efficacité du refroidissement tout en libérant à l’avant l’espace nécessaire pour aménager un vaste coffre à bagages (qui faisait gravement défaut à la génération précédente des 365 et 512 BB).
On note aussi que la Testarossa offre un accès à bord facile et une visibilité plutôt satisfaisante, même vers l’arrière, constats assez rares en pratique avec les autos à moteur central.
Il faut néanmoins, avant cela, tâtonner pour trouver le mécanisme d’ouverture des portes élégamment dissimulé dans la prise d’air latérale.
Une expérience de conduite authentique
Nous avons pris le parti d’être deux lors de ces essais afin de partager nos impressions à chaud en échangeant nos places.
Mon passager est immédiatement surpris par l’espace à bord, le confort du siège, la luminosité de l’habitacle (bien aidé dans l’exemplaire du jour par le cuir clair omniprésent, jusqu’au ciel de toit) et la douceur générale de fonctionnement.
En effet, ici, point de pétarades d’échappements ou de vrombissements mécaniques comme nous en servent les autos de sport modernes. Malgré la présence d’un pot inox complet légèrement plus sonore que celui d’origine, le volume reste relativement mesuré, mais quand même bien plein.
Finalement, c’est bien plutôt le côté affirmé autant qu’inattendu d’un caractère de grande GT qui se révèle dès les premiers tours de roues.
Le moteur n’est certes pas absent de la bande son (nous sommes quand même poussés par un 12 cylindres de 5 litres et 380 chevaux sur cette ultime version déjà catalysée) mais il sait rester discret aux allures légales, ce dont nous nous contenterons d’ailleurs.
Les suspensions sont étonnamment prévenantes pour une voiture aussi rapide, surtout en comparaison des standards actuels, et les dos d’ânes sont franchis assez facilement si l’on veut bien se rappeler la présence du très long porte-à-faux avant, sinon, c’est lui qui se rappellera bruyamment à votre bon souvenir !
La finition est bien meilleure que ce que les mauvaises langues se plaisent à répéter. Comme cela a été dit, le cuir est omniprésent et de belle facture. Celui impeccable bien que de couleur crème de notre exemplaire en atteste du haut de ses 32 ans et 64 000 km.
Les aménagements et différents équipements sont étonnants et parfois amusants tant leur style et dispositions témoignent d’une originalité ou d’une personnalité qui diffèrent du classicisme des productions germaniques contemporaines.
Il en est ainsi de la batterie de commandes étranges peuplant la console centrale, liées au chauffage et à la climatisation automatique, des interrupteurs de feux de brouillard sur la console de toit ou encore de l’immense boîte à gants à ouverture électrique (si, si ! ) et du non moins immense miroir de courtoisie qui s’y dissimule et qui se déploie grâce à un savant système d’articulation !
Seuls les cendriers en vilain plastoc dur, au nombre de deux et éclairés certes, font terriblement toc. Du coup, les aérateurs, peut-être d’origine alfa, parviennent à passer inaperçus.
La souplesse du moteur et la précision de la boîte de vitesses
La première surprise en tant que passager vient de la découverte d’une auto plutôt civilisée, aussi confortable qu’agréable depuis cette place.
L’expérience volant en main est l’occasion de rappeler que cette Ferrari a été étudiée et conçue voilà plus de 40 ans et qu’elle ne possède ni direction assistée, ni ABS, pas plus que d’anti-patinage, bref, d’aucune aide à la conduite !
En revanche, pour passer le couple moteur dont on verra qu’il est bien conséquent, l’embrayage est de type bi-disque. La pédale n’est pas affreusement dure comme sur certaines Ferrari plus anciennes, mais le point de friction de cet embrayage n’est pas facile à cerner. Le risque est soit de caler net si l’on se précipite, soit d’écourter sa rude existence si on s’attarde à le relâcher.
Par respect pour ce dernier, il faut donc s’appliquer un peu et éviter les inutiles démarrages façon dragster.
Dès que la Testarossa est en mouvement, les premières impressions contredisent la réputation de camion qui lui est faite et la voiture s’avère très facile à diriger, d’une main, dès les plus basses allures.
Ensuite, c’est l’incroyable souplesse de ce fantastique moteur qui étonne.
L’énorme couple, disponible même à très bas régime, garantit de pouvoir se relancer sans devoir rétrograder et ce, quel que soit le rapport de boîte engagé.
En 4è, à 1000 tr/mn soit moins de 40 km/h, la Testarossa accélère sans hoquet ni hésitation et pousse de plus en plus fort, de manière continue, en donnant l’impression que cela ne s’arrêtera jamais (ce qui serait presque vrai sur circuit puisque la 4è dépasse 220 km/h).
La boîte n’offre pas la commande la plus douce disponible à l’époque, mais, une fois à température, un geste précis et décidé permet d’engager les rapports sans difficulté avec la satisfaction du travail bien fait, la récompense venant des petits tintements métalliques émis par le levier sur la traditionnelle grille en aluminium. Une commande de boîte bien réglée est impérative sur la Testarossa.
Les rétrogradages en conduite soutenue demandent un peu plus de métier dans le sens où le double-débrayage est fortement recommandé afin de soulager les synchros et de ne pas fatiguer inutilement la boîte et les transmissions dont on vous fera grâce de préciser les coûts d’une réfection !
Les freins répondent naturellement avec un bon mordant et une puissance hors de critique pour un usage routier, bien que la pédale pourrait être plus agréable à l’attaque (course morte trop importante). On sait cependant que leur endurance en usage intensif n’est pas leur qualité principale.
La tenue de route et le comportement général de cette Ferrari s’avèrent très convaincants et même très naturels. Malgré la largeur impressionnante qui pouvait laisser craindre une prise en main hasardeuse, il n’en est rien et Samuel manie la Testa comme s’il l’avait toujours conduite, notant que les deux grands rétroviseurs sont tout de même bien utiles pour vérifier que l’arrière passe !
A chaque reprise, on ne se lasse pas du plaisir procuré par cette poussée sur tous les rapports, comme si une grande main vous attrapait le dos, vous propulsant en avant de manière ferme et continue, mais sans brutalité excessive. L’inégalable plaisir des gros moteurs atmosphériques !
En conclusion, voilà une Ferrari qui, en quelque sorte, cache bien une partie de son jeu.
Sous des dehors un peu extravagants, elle se révèle être la synthèse aboutie des qualités que l’on attendait d’une grosse GT à l’époque de sa conception, associant confort réel, très hautes performances et caractère sportif affirmé à certains aspects pratiques en plus d’une relative facilité d’usage. Toutes caractéristiques que bien peu d’autos, sinon aucune, réunissaient dans cette catégorie à l’époque de sa sortie.
Cette belle réussite sera consacrée par un étonnant succès commercial, la Testarossa étant la première Ferrari 12 cylindres à atteindre un tel niveau de production. Il s’en vendra en effet 7 177 exemplaires en seulement 7 ans (sans compter les évolutions 512 TR et 512 M) contre 2 323 BB toute version confondues en plus de 10 ans.