>
close button responsive menu
AccueilParkings sécurisésServicesautomobiles en venteà proposContact

Jaguar Type E : la plus belle automobile du monde ?

Si belle, au point d’être considérée comme un jalon du design automobile, et d’avoir intégré les collections de l’un des plus grands musées d’art contemporain du monde.

Si audacieuse, qu’Enzo Ferrari lui-même, pourtant si taiseux d’ordinaire, se serait fendu d’un commentaire élogieux à son sujet lors de sa sortie.

Si désirable, que ceux qui n’ont pas eu la chance de la conduire lui inventent des défauts.Si rare, et pourtant produite à 77 000 exemplaires dans ses différentes versions.

Voici la Jaguar Type E, icône des voitures de sport, emblématique des sixties, dont on peut affirmer sans risque d’erreur qu’elle n’a jamais laissé et ne laissera jamais personne indifférent.

Présentée lors du Salon de Genève en mars 1961, la Jaguar Type E y fit sensation.

Un véritable coup de tonnerre ! Incroyablement moderne et terriblement séduisante, elle revendiquait des performances supérieures à la plupart des grandes sportives de l’époque pour un tarif de voiture de série.

La Type E ne ressemble à aucune autre voiture de sport et dérive étroitement des Jaguar de courses des années précédentes, Type D victorieuses aux 24 Heures du Mans de 1955 à 57 et éphémères E2A du Mans 1960. De ce fait, elle met en pratique et offre en série les principes et enseignements techniques issus de la compétition, dont les recherches aérodynamiques menées par Malcolm Sayer appliquées à une architecture technique définie par William Heynes. Il en résulte cette ligne pour le moins étonnante où le capot occupe la moitié de l’auto, associée à des flancs arrondis masquant à demi les roues presque carénées.

L’ensemble a probablement surpris certains visiteurs du Salon de Genève, plus enclins à apprécier les formes conventionnelles et néanmoins très réussies des productions italiennes ou britanniques contemporaines.

Cependant, le reste des caractéristiques affichées par la Type E n’a laissé personne dans le doute quant à la bombe lancée par Jaguar en ce mois de mars 1961 dans le petit monde des voitures de sport.
Imaginez : 4 roues indépendantes et 4 freins à disques associés à une direction à crémaillère dans une structure mixte, semi-monocoque avec un treillis tubulaire pour la partie avant, propulsé par le 6cylindres à double arbre à cames en tête et 3 carburateurs, déjà connu certes, mais encore moderne. La vitesse de pointe était donnée pour 240 km/h et le tout était affiché à un prix équivalent à la moitié à peine des concurrentes italiennes Ferrari et Maserati ! Un véritable pavé dans la mare. Car en plus de ce prix à peine croyable, aucune voiture de sport de cette époque n’était à même de proposer une telle modernité et très peu, de telles performances.

Les plus aguerris des observateurs noteront quand même la présence de l’antique boîte Moss, solide mais lente, héritée des précédents modèles et quelque peu dissonante au milieu de ce florilège de nouveauté.
Il est possible d’imaginer aussi que les clients traditionnels de Jaguar se soient trouvés un peu désorientés face à la Type E. En effet, quand on la compare à la vénérable XK150 qu’elle remplaçait, aucune continuité ni de style, ni de proportion ne peut être décelée. On en retire même le sentiment qu’il manque une ou deux générations de modèles intermédiaires.

Les trois exemplaires présentés à Genève sont en fait des prototypes, dont deux sont arrivés de l’usine par la route, et la Type E est encore loin de la production en série qui ne démarrera que quelques mois plus tard.
Néanmoins, le coupé de démonstration de Genève soigneusement préparé par les techniciens de Jaguar démontrera peu après les capacités du nouveau modèle en atteignant les 240 km/h promis par le catalogue, performance difficile à reproduire avec un exemplaire de série, même si quelques type E en forme parviendront à l’approcher par la suite.

La clientèle à laquelle s’adresse la nouvelle Jaguar ne résistera pas longtemps à l’attrait des lignes sublimes de la Type E et de ses étonnantes performances. Les commandes affluent et les livraisons commencent au cours du 2è semestre 1961 uniquement à l’exportation, du moins au tout début. Les Etats Unis représentent le premier marché pour Jaguar à cette époque et pour de nombreuses années encore. La demande pour la nouvelle Type E y est immédiatement très soutenue et les 2/3environ de la production totale du modèle seront exportés vers les USA.

Comme on l’a vu brièvement, la Type E propose dans cette catégorie des caractéristiques inédites en 1961, plus proches d’une voiture de course que de celles d’une auto disponible chez le concessionnaire du coin de la rue.
Il est utile de rappeler à ce sujet que Jaguar en 1961, déjà, est une marque qui propose des voitures de luxe et de sport construites en série. En ce sens, on ne peut la comparer à des firmes semi-artisanales comme Ferrari ou Maserati dont les chiffres de production annuelle ne représentent qu’un infime pourcentage de ceux de Jaguar. Ainsi, pour l’année 1962 par exemple, Ferrari livre 493 autos de plusieurs types alors que Jaguar sort 6 253 exemplaires de la seule Type E (donc sans compter les berlines Mk2 et Mk X assemblées en parallèle !).

Ces volumes de production expliquent en partie le prix de vente très contenu de la Type E, tout en mettant davantage en évidence l’audace que reflétait, pour un constructeur de cette importance, l’étude et la commercialisation d’une voiture aussi avancée en termes de style, d’innovations techniques et de performances.

Lors de sa sortie, la Type E remplace la XK 150 qui dérivait des XK 140 et 120, cette dernière ayant été présentée en 1948.
Bien qu’ayant, elles aussi, bénéficié des enseignements de la course, les XK restaient d’une conception classique héritée de l’avant-guerre. Les 4 freins à disques et la direction à crémaillère de la XK150 ne pouvaient faire oublier l’antique châssis à longerons et l’essieu arrière rigide sur ressorts à lames.

Au demeurant, ces attributs sont alors fort courants en 1961 et les Ferrari autant que les Maserati reposent encore (et pour longtemps) sur un châssis, fort bien conçu certes, mais comportant là aussi essieu rigide et ressorts à lames.
La carrosserie monocoque de la type E, complétée à l’avant par un treillis tubulaire supportant le moteur et les suspensions, est une solution inédite sur une voiture de série, reprise des Type D de compétition. La suspension arrière à roues indépendantes avec 4 combinés ressorts hélicoïdaux/amortisseurs est une autre innovation. Quant au capot basculant d’un seul tenant, il est très pratique pour accéder à l’ensemble de la mécanique en plus de créer un effet spectaculaire lors de son ouverture.

Cette conception présente aussi l’avantage d’une importante réduction des masses, la Type E affichant au bas mot 200 kg de moins qu’une XK 150 sur la bascule. Nul besoin d’être devin pour comprendre que, propulsée par le même moteur 3.8 l à 3 carburateurs de 265 cv que la XK 150 S, la nouvelle Type E va s’avérer nettement plus agile et rapide.

Notre essai d'une Jaguar Type E 3.8l de 1963 cabriolet

Trouvez-vous face à une Jaguar Type E et vous comprendrez immédiatement ce qu’une majorité des visiteurs du salon de Genève a ressenti.
Soixante-deux ans plus tard, l’effet produit semble intact !
Cette voiture est magnifique. Sous tous les angles. Elle paraît toute petite et presque irréelle tant elle ne ressemble à aucune autre. Ses proportions sont invraisemblables et pourtant, le résultat fonctionne, étonnamment.

Aucune décoration inutile ni ornementation superflue. Juste de fins pare-chocs interrompus avec goût, de délicats feux en amande, une petite bouche, des phares sous bulle et de larges évents sur le capot. Quelques stylistes automobiles de l’époque ont probablement perdu le sommeil durant quelque temps après avoir vu une première Type E !
Un autre fait peu courant : le cabriolet est aussi réussi que le coupé, et ne donne à aucun moment l’impression d’une version à laquelle on aurait hâtivement tronçonné le toit, comme c’est souvent le cas lorsque la version fermée est très équilibrée.

Le cabriolet 3.8 l de 1963 qui nous attend confirme ce sentiment et apparaît tout à fait sublime dans cette robe or métallisé Golden Sand.

L’ouverture de la (toute) petite porte révèle un seuil très haut formant un large ponton qu’il faut enjamber pour atteindre le siège en contrebas, une jambe après l’autre en évitant de passer un pied au travers du grand volant. L’exercice se complique singulièrement lorsque la capote est en place ou si vous mesurez plus d’1m80 et manquez de souplesse.

Mais une fois assis, vos efforts sont récompensés par un environnement assez extraordinaire.
Au premier plan, un superbe volant à jante en bois verni et branches en aluminium à trou-trous, qui précède un tableau de bord de style très aéronautique, garni en son centre d’un alignement de jauges et autres manomètres auxquels répondent, un étage plus bas, une série d’interrupteurs à basculeur alignés comme à la parade. Sur l’essentiel des 3.8 litres, la console centrale présente normalement une finition en aluminium martelé, dont notre auto est curieusement dépourvue.Au-delà du tableau de bord, à travers un pare-brise minuscule au cadre minimaliste, vos yeux portent au loin sur un capot qui semble ne pas devoir finir, comportant en son centre un gros bossage que vous n’aviez sûrement pas deviné aussi imposant, vu de l’extérieur. Et oui ! Il faut bien le loger ce gros 6 cylindres XK, monument de verticalité, dans une auto si frêle.
Les sièges baquets sont aussi beaux qu’inconfortables. Le dossier fixe ne monte pas plus haut que vos omoplates et ils ne reculent pas assez pour être bien installé, si vous mesurez toujours plus d’1 m 80.Heureusement, le volant se règle en profondeur, vous permettant, tant bien que mal, de définir une position de conduite relativement acceptable.
Le petit levier de vitesse est très bien positionné, ce qui est une chance et nous verrons plus loin pourquoi.

Clé de contact au centre, au milieu de la batterie d’interrupteur. Bouton du démarreur juste à côté.Une pression et le XK démarre dans un vrombissement aussi évocateur que plaisant.
La sonorité de ce moteur est incontestablement un des grands plaisirs délivrés par la Type E !
Un plaisir qui peut être immédiatement gâché par le sinistre grognement émis par les pignons de la boîte si vous avez engagé la 1ère avec trop d’empressement... En effet, l’antédiluvienne boîte Moss dont le 1er rapport n’est pas synchronisé vient de se rappeler à votre bon souvenir ! Héritée des générations de Jaguar précédentes et conservée pour des raisons d’économies, cette boîte n’a pour unique qualité que d’être solide et pour principal défaut, d’être d’une lenteur inadaptée à une voiture de sport moderne comme l’était la Type E à sa sortie. Cet écueil sera corrigé sur les séries 14.2 litres à l’été 64 avec une toute nouvelle boîte conçue par Jaguar.

Nous allons donc devoir composer avec cette boîte rétive et prendre notre temps pour monter et surtout descendre les rapports avec l’aide d’un bon double-débrayage. La précision et la franchise du levier de vitesse s’avèrent alors bien utiles, au contraire du pédalier ne permettant pas, du moins sur notre exemplaire, de réaliser le talon-pointe.

Et là s’arrêtent les critiques, car à la première accélération, un sourire béat va s’installer sur votre visage, sourire qui va s’accentuer avec les premiers virages.
Non seulement, ça pousse, mais ça pousse fort ! Il y a de la cylindrée et donc du couple à revendre, disponible immédiatement. Les montées en régime sont vigoureuses et très rapides. Les reprises sont étonnantes quel que soit le rapport engagé. La zone rouge est fixée à 5500 tr/mn sur le 3.8 l, mais ça n’est absolument pas frustrant tant l’accélération est vive et franche sur toute la plage du compte-tour.

Ce gros moteur ne rencontre vraiment aucune difficulté à faire avancer la Type E dont le poids contenu, d’environ 1250 kg, fait sourire aujourd’hui, comparé aux pachydermes qui nous sont proposés.
La direction sans assistance est directe et très naturelle. Comme on pouvait s’y attendre sur une auto de cette époque, elle n’est pas exempte de réaction et gigote un peu sur route inégale.

En contrepartie, elle informe bien du niveau d’adhérence du train avant. Et c’est une bonne chose, car négocier les virages en Type E est un régal ! L’équilibre de l’auto est excellent et découle d’une parfaite répartition des masses, réparties pour moitié sur l’avant et sur l’arrière grâce à la position centrale avant du moteur. Les suspensions, très modernes comme nous l’avons vu, ne sont ni trop souples, ni trop dures et très bien amorties.

Le résultat est un comportement agile et incomparablement prévenant pour une auto de cette époque, tout en restant très amusant. Le couple et la puissance disponible permettent de faire facilement glisser l’arrière, de façon prévisible et progressive si on a l’habitude, afin d’enrouler les virages en légère dérive, sans forcer l’auto. Un différentiel à glissement limité, raisonnablement taré, se charge alors de maintenir un bon niveau de motricité.

Quelle bonne voiture ! Une vraie voiture de sport. Surtout si, encore une fois, on la rapporte à son époque.
Cependant, tout n’est pas absolument parfait sur cette première génération et le premier freinage appuyé vous ramène à quelques réalités bien objectives : les freins ne sont pas à la hauteur des nombreuses qualités de l’auto, s’agissant d’une 3.8 litres s’entend. La 2è génération de série 1 en 4.2litres se verra débarrassée de ce problème en s’équipant d’un nouveau système de freinage à l’assistance correctement calibrée. Mais pour l’heure, tel n’est pas le cas. Vous appuyez sur la pédale de frein et n’obtenez, au mieux, qu’à peine la moitié de ce que vous attendiez, malgré les 4 disques à la pointe de la modernité. Si l’on y ajoute le maniement rétif et délicat de la boîte lors des rétrogradages, voilà de quoi réfréner vos ardeurs !

Une vieille boîte et une commande de freins à priori mal conçue sont donc les deux défauts de laType E dans sa première définition (mars 61- été 64) : il est amusant de se remémorer qu’au début des années soixante, seule la boîte était critiquée alors que les freins semblaient satisfaire les essayeurs autant que les propriétaires...

Mon expérience personnelle me laisse perplexe au sujet des freins, dans le sens où les XK 150, Mk2contemporaines, pesantes MkX ou Type E 3.8 litres de course, certes, mais conforme en termes d’équipement, m’ont toutes laissé le souvenir d’un freinage satisfaisant. Ce qui n’a jamais été le cas d’aucune Type E 3.8 l qu’il m’ait été donné de conduire... Notre voiture d’essai, étant comme toutes les Type E 3.8, une voiture âgée ayant été restaurée ou, à minima entretenue mais avec les pièces de rechange disponibles aujourd’hui, aurait perdu une partie de ses qualités d’origine ? La question est posée et les réponses d’utilisateurs expérimentés sont les bienvenues sur notre site Carsup.

Un dernier point, et non des moindres, la Type E est, paradoxalement, une voiture confortable.

Évidemment, cela vaut plus pour le coupé que pour le cabriolet à l’étanchéité pour le moins perfectible. Et aussi pour les versions 4.2 l de la série 1 plus que pour les 3.8 l comme nous l’avons dit, du fait de l’amélioration des freins et de la nouvelle boîte en plus de nouveaux sièges.Néanmoins, vous êtes bien installé dans une Type E, calé entre le ponton latéral et l’accoudoir de la console centrale, profitant d’une excellente visibilité vers l’extérieur et bien porté par des suspensions fermes, juste ce qu’il faut et jamais fatigantes.

Tout ceci étant dit et quitte à nous répéter, force est de constater que nous sommes en présence d’une extraordinaire automobile. Belle au point de brouiller les repères habituels de la beauté, petite, menue, mais abritant un gros moteur rendu exploitable grâce à une conception moderne et des suspensions élaborées, rapide autant qu’agile sur routes sinueuses et apte au long trajets à vitesse soutenue, la Type E est probablement la première et une des rares autos à avoir associé sans tromperie une apparence dérivée en droite ligne de la course avec de vraies aptitudes Grand-Tourisme, pour un prix raisonnable découlant d’une production industrielle en série.

C’est la voiture dont j’ai toujours rêvé. D’ailleurs, j’en ai une et ce sera la dernière que je conserverai.

Sources de l'article
* champ obligatoire